Nous sommes en janvier 2024 et j’avais envie de retourner 2 ans en arrière pour mettre par écrit l’histoire d’une femme parmi tant d’autres qui a vécu un traumatisme puni en théorie par la loi mais notre justice étant défaillante en la matière, je crois qu’il nous reste les mots pour extérioriser et faire entendre nos voix.
Nous sommes donc le 21 Janvier 2022 mais en réalité l’histoire ne commence pas là.
L’histoire commence sur une appli de rencontre, en janvier 2020, 2 ans plus tôt.
Sa photo ? Un jeune homme, grand, chemise blanche entrouverte, lunette de soleil, pantalon de costume et basket blanches, le regard vers l’horizon. LE BEAU GOSSE, le cliché du petit français blond aux yeux bleu, musclé, sexy, charmant et avec une tête d’ange. Le genre à qui on donnerait le bon dieu sans confession. On discute, c’est fluide, sympa, il me plait. On découvre qu’on habite à quelques minutes l’un de l’autre et quand on est à la campagne, c’est plutôt inespéré. Me voilà à me garer devant une villa dans la coline. Je passe une bonne soirée, on est timide, assis sur le canapé d’un bout à l’autre. Je suis impressionnée autant par lui que par la maison dans laquelle je me retrouve. Il l’a retapé tout seul, la maison secondaire de ses parents est au-dessus. Et puis il a son chat, l’amour de sa vie qui se retrouve à ronronner sur mes genoux. Je prends mon courage à deux mains et je lance un ” et bien dit donc, ton chat il est plus câlin que toi”. Ni une ni deux, il m’a littéralement sauté dessus. J’ai pas compris ce qu’il m’arrivait, mais je n’étais clairement pas contre. En quelques minutes je découvre un homme très entreprenant, très sûr de lui et surtout, qui donne des ordres.
C’est très difficile à décrire, il y a une posture, une voix, une gestuelle, tout en lui transpire la domination sereine et quand il dit quelque chose, impossible de lutter, on suit. Me voilà à répondre à ses ordres sans réfléchir et clairement, à obéir.
Quand je me retrouve dans mon lit en rentrant, je suis encore abasourdie. Je ressens quelque chose qui me dérange, je me sent sale en fait. Les choses ne se sont pas passée comme j’en avais envie, mais en même temps, j’étais consentante. J’aurais simplement aimé que ça se passe autrement.
Son surnom devient une évidence, j’ai rencontré Mr Grey. Il a tout du personnage, il lui ressemble physiquement, au niveau de la gestuelle, du style de vie et dans l’intimité.
Je le revoit une fois, deux fois mais quelque chose cloche. Cet homme me plait mais la relation n’est pas celle que j’attends. Je lui exprime mon ressenti et décide d’en rester là. Je n’aime pas ce côté dominant et je veux une vraie relation.
Le temps passe, il ne lâche jamais l’affaire. On se recroise sur les applis, il continue à me suivre sur les réseaux, à interagir avec mes stories. Il me relance, je lui dit non, je tente à chaque fois la discussion mais constate très vite qu’il n’a qu’un seul objectif, m’avoir dans son lit, pas plus.
Ainsi, je lui dit non pendant 2 ans, gentiment, en lui expliquant à chaque fois pourquoi.
Voilà pour le contexte, Mr Grey est un dominant, un fils à papa à qui on a visiblement jamais trop dit non et qui gère très mal la frustration.
Retour en 2022. Je suis en couple, ça fait presque 1 ans. C’est mignon mais le poids du couple me pèse. Je me sent enfermé alors que j’aime réellement cet homme adorable à mes côté mais j’ai envie de m’enfuir très loin pour respirer. On a pas envie de se séparer et on finit par se dire qu’on va essayer de se laisser de la liberté. J’ai envie de rencontrer des gens, de vivre ma vie de mon côté, de me sentir libre. Me revoilà sur les applis, je réalise que j’ai surtout envie de flirter alors je m’en tiens à ça et l’équilibre revient.
Mais le 21 Janvier 2022, je fais la connaissance d’un coach sportif de crossfit. Mr muscle quoi. Il est sexy, je me dit que ce doit être un abrutis mais j’ai envie de jouer alors je l’aborde par l’humour. Je ne me souviens même plus comment. Visiblement ça l’a marqué car il me répond mais quelques minutes plus tard je reçoi un message. C’est Mr Grey qui arrive avec ses grand sabots et vient râler que je drague un ami à lui. Et oui, Mr Grey passe sa vie au crossfit, j’avais oublié, pauvre de moi. Mr Grey râle et fait le jaloux. Il me dit que je n’ai plus envie de le voir et lui parler, alors j’explique, encore une fois. Il soutient qu’on peut se voir simplement pour discuter, je réponds donc qu’on peut prendre un café, je suis chez moi ce jour là donc à 5min de chez lui.
En arrivant devant le portail, j’envoie un message à mes copines, je dis où je suis avec l’adresse et je les préviens que je veux leur donner des nouvelles. Je ne suis visiblement pas sereine mais j’y vais quand même.
Il n’a pas menti, on prend un café en discutant, c’est très sympa, amical. J’en viens même à culpabiliser d’avoir été si intransigeante avec lui tout ce temps. Il suffit de poser le cadre et tout va bien.
L’heure tourne et je dois rentrer, travailler. Je lui dit et me lève. Mais ce n’était pas son programme à lui. Lui il avait décidé qu’il fallait que je reste. D’un coup, je le retrouve, Mr Grey. Il donne des ordres, s’approche. Moi je me braque. Je le regarde droit dans les yeux et je lui dit non. Je lui explique que s’il continue, il n’a pas le droit, c’est du viol. Il ne s’arrête pas.
Chaque fois qu’il essaie de me déshabiller, je me rhabille. Chaque fois qu’il exprime un ordre, je réponds non. Mais il est en boucle, il ne lâche rien et moi à ce moment là, j’ai peur.
Si on fait un bref check up de la situation, je suis perdue dans la forêt , ma voiture est garée à l’intérieur d’un parking fermé par un grand portail électrique. Il n’y a personne autour et en face de moi j’ai une armoire à glace. Qu’es ce que je peux faire à pars lui répondre “non” inlassablement et maintenir mes vêtements et mes chaussures sur moi.
On différencie l’agression sexuelle du crime qu’est le viol par le fait d’une pénétration. Cette pénétration à connotation sexuelle doit se faire par contrainte (physique ou morale), menace ou surprise. Tout acte de pénétration sexuelle est visé : vaginale, anale ou buccale. Par le sexe de l’auteur, ses doigts ou par un objet.
Dans 74% des cas, la victime connait son agresseur, les faits ont lieu en journée, au domicile. Et bien sûr, la majorité des victimes sont des femmes.
Je ne voie pas l’intérêt d’entrer dans le détail de la suite des évènements mais tout a été très vite. Sans cri, sans larmes, sans violence. La contrainte morale est ce qui est le plus difficile à prouver. Céder, ce n’est pas consentir. Céder c’est subir. Le consentement se doit d’être libre et éclairé. Je n’ai à aucun moment consenti. Là où je suis fière de moi c’est que je l’ai verbalisé mon “non” il était clair et sans équivoque. Il était aussi physique, j’ai réussi à garder mes vêtements du début à la fin, même mes chaussures. Il n’a pas réussi à me toucher, à m’atteindre. Je n’ai fait qu’obéir, sans consentir.
En rentrant chez moi je me suis sentie triste et en colère. Contre moi même surtout. Je venais de tromper mon copain contre ma volonté. J’ai culpabilisé. Le soir, j’ai tenté une discussion avec Mr Grey. Je lui ai dit que ce qu’il avait fait c’était mal, c’était de l’abus. Son “ah ok désolé” ne m’a pas suffit. Les jours ont passé, j’ai repri ma vie mais quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire. Alors j’ai demandé à google de l’aide. Je voulais mettre des mots sur ce que j’avais vécu. Pour moi c’était de l’abus de faiblesse. J’ai vite appris que la définition ne correspondait pas du tout. Je suis majeur et en pleine possession de mes moyens. Puis il y a eu le tchat de la police. J’ai posé des questions. En quelques minutes, un inconnu à poser ce mot si lourd : VIOL
Je suis restée sans voix. L’agent m’a expliqué et m’a demandé si je souhaitais porter plainte. J’ai dit oui, sans réfléchir et j’ai clôturé la discussion. Le rouleau compresseur était lancé. La gendarmerie m’a recontacté et m’a proposé de venir déposer plainte. Google m’a donné plein d’informations qui m’ont fait peur : l’auteur d’un viol risque 15 ans d’emprisonnement.
Trop tard, j’ai commencé à parler, je vais aller jusqu’au bout. Je ne me suis pas rendu à la gendarmerie pour moi. J’étais toujours dans le déni, je n’y croyais pas mais je voulais protéger les autres. Je me suis dit qu’à moi il n’était pas arrivée grand chose en fin de compte parceque j’avais réussi à dire non, à me protéger un peu. Mais s’il faisait ça à une jeune femme, à une femme plus fragile, non, je ne peux pas le laisser continuer sa petite vie tranquillement. S’il n’a pas compris par la discussion et la pédagogie, c’est la justice qui va lui expliquer.
Je me retrouve à devoir raconter mon histoire à une gendarme, j’avais demandé une femme. Mon récit je l’avais écrit tout cru la veille pour être sûre de ne rien oublier. Alors je l’ai déroulé mais ça ne s’est pas passé comme prévu. Je me suis retrouvé à devoir me justifier, à expliquer, à argumenter. J’ai dû me défendre alors que j’étais la victime.
Je crois que c’est l’incompétence du système judiciaire qui m’a fait sortir de mon déni très brusquement et j’ai plongé au fond du trou. J’ai du revenir plusieurs fois à la gendarmerie, c’est un homme qui a repris ma plainte, un natinf 1115. Il a été très gentil, il m’a cru, il m’a tout expliqué. Il a convoqué Mr Grey, j’ai eu une évaluation psychologique. On m’a debrief l’interrogatoire de Mr Grey et on m’a expliqué la suite.
Globalement on a reconnu le viol mais on m’a expliqué que le parquet ne suivrait pas. La contrainte psychologique c’est trop compliqué, ils ont pas envie d’y aller là haut.
Puis de mon côté j’ai minimisé mon état, je l’ai protégé lui, je voulais juste qu’il comprenne, qu’il se remette en question. Je ne lui souhaitais même pas de mal. Je voulais juste qu’il arrête. J’ai demandé à être protégé. Le gendarme m’a contacté par téléphone avec Mr Grey en face de lui et il a posé un cadre : nous avons interdiction d’entrer en contact.
J’ai contacté des associations, des avocats. On m’a conseillé de ne pas faire de confrontation, je l’ai donc refusé. Le gendarme m’a fait revenir plusieurs fois car il a senti malgrè toutes ses maladresses que je sombrais de jour en jour. Le fait est que la plainte est partie et qu’il ny avait quand même pas grand chose à en espérer. Le fait est également qu’il n’a même pas subit une vraie garde à vue. On l’a surtout grondé et mis face à ses contradictions. Il parait qu’il en dormait plus la nuit, le pauvre …
Les semaines ont passés, j’ai finit par demander à être en ITT, 15 jours seulement. Puis j’ai accepté les anti depresseur et les anxiolitiques, de plus en plus fort.
J’ai accepté d’en parler autour de moi. Mon entourage comme souvent dans les sujets lourds et délicats, n’a pas toujours été au top. On est souvent surpris dans ces moments là, ceux de qui on attends le plus peuvent être décevant et le soutient peut venir de personnes dont on attendait rien. Je ne leur en veut pas vraiment, chacun réagit avec son package émotionel et son histoire.
Avec tout ça moi, j’ai perdu la naiveté qui me restait, ma joie de vivre, mon couple. J’ai continué à m’enfoncer dans les crises d’angoisse et la dépression.
J’ai explosé l’échelle de PTST (stress post traumatique) que j’ai réalisé avec ma psy alors que j’étais sous anxiolitique et anti depresseur déjà. Je faisais des crises d’angoisse aboslument toute la journée, sans raison, sans explication. J’ai eu l’impression de devenir folle. Mon entourage s’est vraiment inquiété. J’étais à la fois sans émotions la plupart du temps puis d’un coup beaucoup trop intense. D’où le régulateur des émotions.
J’avais peur de sortir et de le voir, il habite encore et toujours à 5min de chez moi. On est dans un village, on a le même âge. On a même des connaissances en commun. Le monde est petit. J’ai eu peur des représailles car c’est long, très long d’avoir le verdict du parquet.
J’ai commencé à sortir plus loin, à découvrir Marseille. J’ai eu envie de rire à nouveau alors je me suis entourée de gens droles et bienveillant.
J’ai été très bien accompagné par des professionels : médecin, psy, mon magicien en acuponcture. Par mes proches aussi hein il y a eu du très bon, les maladresses n’empêchent pas la présence et l’amour de ceux qu’on aime.
J’ai eu 6 mois de traitement, 1 ans et demi de thérapie et petit à petit, j’ai remonté la pente.
La réponse du parquet je l’ai eu en Juin, quelques mois plus tard. Sans surprise ” affaire classé sans suite” malgrès les historiques des discussions, les évaluations psychologue etc etc. Merci la justice. J’ai été longtemps très en colère mais j’ai décidé de lâcher prise et de ne pas poursuivre. J’avais pourtant un avocat très spécialisé et reconnu qui acceptais de m’accompagner (avec l’aide juridictionelle en plus), j’avais de quoi le poursuivre mais j’ai finalement dit non. J’ai eu envie d’avancer et d’arréter de ressasser.
Je crois que cette histoire m’a appris à poser d’autant plus les limites, à ne plus avoir autant envie de jouer avec. J’ai appris à me respecter d’avantage, mon corps surtout. J’ai d’autant plus cru en ma capacité à rebondir, à ma force. Et puis j’ai transmis autre chose aux gens. Je suis devenue une autre version de moi.
C’est comme ça que mes rencontres qui ont suivi ont été bien différentes. Plus douces, moins intenses. J’ai quand même été perdu un moment mais 1 an plus tard j’ai suffisament travaillé sur moi pour accueillir dans ma vie Mr pancake. Quand je l’ai rencontré tout ça c’était derrière moi déjà et je crois que ça change tout. Il n’est pas là pour me sauver de tous mes traumas petits ou grands. Il est juste là parcequ’on s’est choisi et qu’on continue à se choisir tous les jours (avec plus ou moins de difficulté, on va pas se mentir). Pas dé dépendance affective, pas de peur de l’abandon.
On me dit souvent que je suis courageuse, forte. J’ai vécu, fausse couche, IVG, séparation, infidélité, viol, deuil mais vous savez, tout ça, c’est assez banal. Notamment dans la vie d’une femme, les statistiques sont là. Je ne suis pas la seule, on est là et on est bien vivantes. On peut se relever de tout et en sortir toujours plus forte.
Cette fois ça y est, je l’ai écrit. C’est mon histoire mais je pense que c’est celle de beaucoup d’autres victimes qui n’ont jamais eu gain de cause.
On vous croit, vous n’êtes pas seules.